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La Vie en équilibre (instable ?)
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9 avril 2007

Triste anniversaire

Il y a 10 ans jour pour jour, j’assistais aux obsèques de ma mère.
Un décès brutal, imprévu, alors que j’étais enceinte de presque 7 mois de CF1.

Rupture d’anévrisme.
(C'est la version officielle. Parce qu'en réalité, je pense que ce fût un coma éthylique de trop).

 

Est-il possible d’être à la fois anéantie de chagrin d’avoir perdu une personne proche tout en étant folle de rage contre elle de vous faire ce coup-là ?
Oui.

**********

J’ai un mauvais pressentiment ce jour-là.
Depuis l'avant-veille, ma mère est injoignable, sa porte est fermée, la clé dans la serrure. Compte tenu de sa maladie alcoolique, ce n'est pas la première fois qu'elle est *indisponible*, mais là, je préssens que c'est plus sérieux. Elle n'a jamais (trop) failli à ses obligations de mère. Or, la veille, ma soeur s'est retrouvée à la porte en rentrant de l'école, et ça, ce n'est pas normal.
Mon père, sur mon insistance, se décide à appeler un serrurier.
- Mais elle va me tuer si je lui casse sa porte !
Peut-être. Mais ce n’est jamais qu’une serrure et après tout, elle est peut-être malade, elle a peut-être besoin de soins. Quelque part, je crois que je sais déjà.
Pourquoi ? Parce que je lui dis de ne pas emmener Soeurette (8 ans) avec lui. Et c'est bien parce que mon intuition me souffle que ce qu'il va découvrir derrière la porte n'est pas un spectacle pour une fillette.
(Evidemment il ne tiendra pas compte de mon conseil...)

 

Je passe la matinée à mettre en place un reportage photo compliqué pour un bouclage qui urge. Je déjeune en 10 minutes et je me dépêche de remonter à la rédaction. Je suis au téléphone avec le photographe quand mon autre ligne sonne.

Je sens, je sais déjà que c’est mon père.
Tout comme j’ai pressenti au moment d’appeler le photographe qu’il fallait que je laisse cette ligne libre ; et je l’ai appelé depuis l’autre poste.

 

Il m’assène la nouvelle, sans ménagements : « C’est fini. Pour Maman, c’est fini. »
Trop choqué lui-même de ce qu’il vient de découvrir pour penser une seule seconde à l’effet que va faire me faire son coup de fil, au stade de grossesse où j’en suis.

Je me revois, assise à mon bureau, une main d'acier me broyant le coeur, une pierre dans la gorge, une autre dans l’estomac, un téléphone sur chaque oreille, me demandant confusément à qui je dois dire d’appeler la police et que j’arrive tout de suite et à qui je dois donner les derniers détails pratiques pour cette foutue prise de vue.
Le photographe a dû m’entendre, il me parle gentiment, me dit de ne pas m’en faire, que je peux compter sur lui, que les photos seront dès demain à la rédaction.
Je raccroche. J’entends quelqu'un gémir. Comme un animal.

C’est moi.

C’est moi qui suis en train de gémir comme ça !
Heureusement que c’est l’heure du déjeuner, les bureaux sont vides.

 

Je titube jusqu’à l’ascenseur. Je croise un collègue journaliste, G. Je lui jette deux ou trois mots d’un air égaré, il m’accompagne,  me soutient jusqu’en bas. Le café du coin, prévenir mes collègues que je m’en vais, donner les détails du bouclage en cours, Ne t’en fais pas, on va s’occuper de tout. Retirer de l’argent. Trouver un taxi, je ne suis pas capable de rentrer en métro. G hèle un taxi, m’installe dedans. Merci G.

 

Les rues de Paris me paraissent comme mises en relief, comme si je regardais le monde à travers des lunettes 3D, un kaléidoscope de couleurs mêlées. (Ce n’est pas réel, je vais me réveiller, elle n’est pas morte.)
J’entends quelqu’un gémir, très loin. C’est toujours moi. J’essaie de ne pas faire trop de bruit, mais je n’arrive pas à contenir ce gémissement de bête blessée qui sort tout seul de ma poitrine.
Le chauffeur me demande si je vais bien, est-ce que je ne vais pas accoucher là tout de suite dans sa voiture au moins ?
Non, c’est ma mère qui a eu un accident, je dois aller la rejoindre.
Je suis incapable de prononcer ces mots définitifs « ma mère est morte » . Il essaie maladroitement de détourner mon attention, me montre les photos de ses enfants sur le tableau de bord, une jolie fillette et un garçonnet au sourire bréchu.

 

Et mon bébé qui ne bouge plus. Pourvu qu’il ne soit pas mort. Et ma sœur qui n’a que 8 ans, elle est trop petite pour perdre sa mère. Et mon frère qui passe le bac dans deux mois, c'est des coups à le rater. Et mon père, comment va-t-il faire face à ça ?

 

 

Les jours qui suivent se perdent dans un brouillard opaque dont émergent quelques instantanés très nets.
Je me souviens avoir débarqué à l’appartement, plein de policiers qui m’ont affirmé que oui, hélas, elle était bien décédée. Me l’ont encore dit. Et puis encore une fois.


J’ai refusé de la voir. Je savais que ce serait cette image d’elle qui s’imprimerait pour toujours et je ne voulais pas me souvenir d’elle comme ça.
Mais je l'ai quand même entraperçue, couchée en chien de fusil dans sa cuisine, les mains bleutées.


Quand les pompes funèbres sont arrivées, je ne voulais pas qu’ils fassent les soins de conservation. (Non ! Si vous lui injectez votre saloperie de formol, c’est sûr qu’elle ne pourra plus se réveiller !Je vous en prie. Ne faites pas ça !)

Ensuite, paperasses, démarches. La première nuit, j’ai tenu à dormir chez elle, avec CM. Je ne voulais pas qu’elle reste seule. Je me suis bien gardée d’aller dans la chambre, mais je ne voulais pas qu’elle soit seule à l’appartement.

Le lendemain, je prends enfin le temps de m’occuper de mon ventre, le temps d’une échographie. J’ai dû insister, m’excuser, et finalement dire à sa secrétaire que j’avais eu un gros choc pour être reçue par Dr Gyn-obs.
Le bébé, qui pourtant se fait une spécialité du trampoline sur vessie maternelle depuis quelques temps, n’a pas bougé depuis hier. J’ai peur. S’il est mort, je ne vais pas survivre à sa perte. Je le sais.

Il est vivant.

Le médecin me prescrit des calmants phyto. Que je ne prendrai pas, trop peur que ça fasse quelque chose au bébé.

 

L’affreux coup de fil à ma tante pour lui annoncer la nouvelle et surtout, poser sur ses épaules le fardeau d’aller prévenir mon grand-père. Impossible de lui annoncer par téléphone comme ça, à moins de vouloir célébrer une double cérémonie funéraire. Il ne survivra à sa fille que huit petits mois, emportant avec lui mes souvenirs heureux de petite fille à qui il racontait le monde, la nature et les animaux ; et à qui il taillait des bâtons dans des branches de noisetier pour aller à la chasse au renard, avec le canif qui ne quittait jamais la poche de son pantalon. Ma conscience écologique est née grâce à lui.

 

Organisation des obsèques. Encore des démarches et des paperasses. J’émerge de mon brouillard le temps de m’indigner du coût financier des obsèques. Incroyable ce que c’est cher ! 500 francs par jour simplement pour la morgue ? Et comme par hasard, il n’y a pas de place au crématorium avant 10 jours. Plus de 16 000 francs de facture totale pour une "incinération de base".
Ca rapporte, les morts…

 

Le jour des obsèques, on est en petit comité. Elle ne voulait personne. Ni fleurs, ni couronnes. Mais quelques proches ont absolument tenu à être là, comme M et J-L, copains de fac, dont les yeux sont cernés de la perte de leur amie ; ou A à qui elle a fait bachotter ses maths trois nuits entières d'affilée et qui a réussi son concours d'ingé gâce à elle. Les gens regardent mon ventre à la dérobée. Certains n’étaient pas au courant de ma grossesse, ils m'ont connue toute petite. Peut-être qu’ils s’inquiètent pour moi, pour le bébé.

Je tremble, je grelotte non pas de froid mais nerveusement en attendant la fin de la crémation. Un tremblement incoercible, incontrôlable.
Et en même temps, je souris en me remémorant l'aspect cocasse des deux heures précédentes et l'épopée pour arriver au crématorium : nous suivons
le corbillard, je ferme la marche au volant de ma Clio. Je marque le stop à une intersection. Au moment de redémarrer, la voiture cale dans un gros sursaut. C’est le cri de ma passagère qui me fait prendre conscience qu’en fait, ma voiture vient d’être heurtée par l’arrière.
Un regard dans le rétro. Je vois un vieux monsieur l’air catastrophé
Je l’entends quasiment penser : Oh mon Dieu ! J’ai embouti une voiture !
Je sors de la voiture en me tenant le ventre et je le vois blêmir.
Oh mon Dieu ! En plus, c’est une femme enceinte !
Et lorsque je lui dis :
- Désolée, je n’ai pas le temps de faire le constat, je suivais le corbillard qui est devant. J’enterre ma mère. (je ne sais pourquoi, mais je ne pouvais pas dire « j’incinère ma mère » )
C'est un peu le coup de grâce, limite s'il ne fait un malaise de saisissement à mes pieds. J’ai longtemps conservé la carte sur laquelle il avait noté son numéro d’une écriture tremblante et quasiment illisible. Heureusement que de mon côté, j’avais des cartes imprimées, car mon écriture ne devait pas être beaucoup plus lisible. C'était son premier accident en 40 ans.
Pour moi aussi, c'était le premier accident. Mais rien de tel que perdre sa mère pour relativiser les petits ennuis du quotidien. Quelques jours auparavant, un accident de voiture avec ma Clio chérie m’aurait mise au fond du désespoir. Alors que là, je m’en fiche comme de ma première chaussette.

Je n'oublierai jamais la petite phrase du croque-mort quand il a tendu l'urne à mon père :

- Attention, c'est chaud.

(C'est chaud ?? Mais enfin, c'est tout ce qui reste de ma mère là-dedans et il en parle comme d'un plat trop chaud qui sort d'un four !)

Je fais un mauvais rêve, ce n'est pas possible.

 

Après les obsèques, nous nous sommes tous retrouvés chez elle pour partager un café et des souvenirs. Rires et larmes à évoquer cette femme qui était partie si vite et trop tôt.
Elle avait cinquante ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

**********

 

 

 

 

Aujourd'hui, j’ai également une pensée émue pour G et J qui le même jour, la même année perdaient leur fils de 22 ans.
Par l’un de ces étranges hasards de la vie (mais les années passant, je crois de moins en moins au hasard), ce sont nos défunts qui nous réuniront, quelques années plus tard.

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Commentaires
K
Ninou => Merci pour tous ces compliments, surtout celui à propos de mes talents de plume :o) qui me touche beaucoup. Pour le reste, je ne sais pas si c'est de la force et du courage, sincèrement, c'est plutôt que quand on n'a pas le choix, on est obligé d'avancer. Je suis certaine que tu te trompes et qu'il en faudrait beaucoup pour t'anéantir. Chacun recelle en lui-même bien plus de force qu'il ne le croit.<br /> <br /> Caco => C'était donc toi... :o) Oui, demain est un autre jour. Meilleur.
C
J'ai été avec toi par la pensée une bonne partie de la journée. Le soir vient... et demain est un autre jour.<br /> Je t'embrasse.
N
je l'avais lu hier soir et je l'ai relu ce jour, et là encore les larmes sont apparues, je me demande comment vous faites pour résister à tout ça, la moindre chose m'anéanti, je vous admire de trouver cette force, bravo pour ce courage et cette force de vie, bon courage et continuez vous avez un réel talent de vie et d'écriture...<br /> amicalement
K
Merci de partager mon émotion, FD.<br /> Oui, le choc a aussi impacté CF1. Je le savais dès ce jour-là, aussi, je lui ai beaucoup parlé durant la fin de grossesse et même après, pour le dissocier un peu de ce chagrin, lui expliquer. Et l'alléger de tout ça également.<br /> Parce que c'est vrai que je me suis un peu (beaucoup) raccrochée à mon ventre pour supporter ces moments-là. Et ça faisait lourd à porter pour un bébé même pas encore né.
F
Pffff... voilà, j'en ai les larmes qui ne s'arrêtent plus. Je ne sais pas quoi te dire ,si ce n'est que je t'admire d'arriver à écrire ça même dix ans plus tard... On dit toujours que les bébés conservent les chocs subits pendant la grossesse de leur mère, j'espère qu'il n'en est rien pour ton cf1... Je t'embrasse...
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